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Âge de départ à 63 ou 65 ans, déficit abyssal, hausse des cotisations… La Cour des comptes a rendu jeudi un rapport très attendu sur l’état financier du système de retraite et ses perspectives à moyen et long terme.

Ce document de 95 pages, qui dresse un bilan sans concession, doit désormais servir de base aux discussions entre les partenaires sociaux et le gouvernement. L’objectif affiché : « améliorer » la réforme de 2023. Mais au vu des conclusions du rapport, la tâche s’annonce titanesque.

 

Un document crucial en ouverture des négociations à venir

C’était un rapport particulièrement attendu. Il va structurer les négociations entre les partenaires sociaux et François Bayrou, qui auront trois mois à partir de maintenant pour tenter de s’accorder sur une réforme du système actuel. Dans ses conclusions, la Cour des comptes ne laisse guère de place au doute : des ajustements majeurs sont encore nécessaires pour garantir la pérennité du modèle de retraite français.

Le premier président de l’institution, Pierre Moscovici, a notamment eu des propos très forts. « Il faudra fatalement agir, à travers de nouvelles mesures et de nouvelles réformes », car le « statu quo est impossible » a-t-il affirmé dans les colonnes du Parisien. Une déclaration qui traduit bien l’urgence de la situation.

 

Une embellie en 2023 suivie d’une forte dégradation

Le rapport souligne une situation paradoxale. En 2023, le système des retraites a affiché un excédent de 8,5 milliards d’euros. Une performance positive, portée notamment par une inflation relativement basse et par les réformes mises en place depuis 2010. Mais cette accalmie n’aura été que de courte durée.

Dès 2024, la tendance s’est brutalement inversée, avec un déficit enregistré de 6,6 milliards d’euros. Les projections du Gouvernement n’étaient par ailleurs guère encourageantes pour les années à venir. François Bayou évoquait, en janvier dernier, un déficit compris entre 45 et 55 milliards d’euros d’ici 2030. La Cour des comptes tempère ces estimations et table sur un déficit de 14,6 milliards d’euros à l’horizon 2035.

Un écart significatif qui pourrait conforter les organisations syndicales dans les négociations à venir. Suite à la sortie de ce rapport, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a par ailleurs indiqué que ces chiffres représentaient un « démenti cinglant aux chiffres farfelus retenus par le Premier ministre ». Cependant, ils sont loin de remettre en cause la nécessité d’une nouvelle réforme.

 

Des disparités marquées entre les régimes de retraite

Là où le rapport inquiète, c’est en analysant un à un les six grandes catégories de régimes de retraite : le régime général, celui des non-salariés, des fonctionnaires civils et militaires, les régimes spéciaux (SNCF, RATP, etc.), la caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL) et les régimes complémentaires obligatoires (Agirc-Arrco, RAFP, etc.).

Si en 2023 les retraites complémentaires obligatoires affichent un excédent de 9,9 milliards d’euros, le régime général était déficitaire de 200 millions d’euros. Rappelons que celui-ci représente 42 % des prestations de retraite. La CNRACL est celle qui fait la pire performance, avec 2,5 milliards de déficit.

Dans ce contexte plus incertain pour l’avenir, des réformes structurelles sont nécessaires. D’après Pierre Moscovici, celle de 2023 a déjà eu des « effets positifs sur la trajectoire du système de retraite », mais elle ne suffit pas à « couvrir les besoins de financement du système », loin de là. Il faut donc aller plus loin et ne pas freiner le rythme des réformes. Le rapport rappelle ainsi que :

  • Fixer l’âge légal de départ à 63 ans au lieu de 64 coûterait 5,8 milliards d’euros ;
  • Le porter à 65 ans permettrait d’économiser jusqu’à 8,4 milliards d’ici 2035 ;
  • Réduire à 42 ans la durée de cotisation requise (au lieu des 43 ans prévus par la réforme de 2023) dégraderait le solde des retraites de 3,9 milliards d’euros en 2035 ;
  • À l’inverse, l’allonger d’un an rapporterait 5,2 milliards.

Ces conclusions vont en revanche être difficiles à entendre pour les syndicats, qui réclament toujours l’abrogation des dispositions portant l’âge légal à 64 ans. De leur côté, les représentants patronaux sont uniquement disposés à discuter de certains aménagements ciblés, comme les questions liées à la pénibilité au travail, par exemple.

Avec la remise de ce rapport, la Cour des Comptes passe désormais la main au gouvernement et à tous les partenaires sociaux pour trois mois de négociations qui s’annoncent complexes.

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Les Sages mettent fin au débat sur le « déficit caché » du régime des fonctionnaires

Le rapport devait également aborder une question délicate, susceptible de compliquer les débats à venir : un employé du secteur public représente-t-il un coût bien plus élevé pour l’État qu’un salarié du privé pour son entreprise ? Avec, en filigrane, l’idée que les caisses de retraite des agents publics seraient structurellement déficitaires et régulièrement soutenues par des fonds publics.

Pour Pierre Moscovici, il n’y a « aucun déficit caché des retraites des fonctionnaires ». Certes, l’État cotise à un taux nettement plus élevé (78 % pour les fonctionnaires civils contre une moyenne de 28 % pour les entreprises privées), mais les bases de calcul diffèrent, et rendent toute comparaison directe inappropriée.

La Cour des comptes admet néanmoins la complexité de cette comptabilisation tout en rappelant que le régime des fonctionnaires civils et militaires est conçu pour être équilibré : la contribution de l’État est ajustée pour garantir un solde nul.